Codépendance
Au cœur du vieux quartier, là où le temps semblait avoir suspendu son vol, se trouvait un labyrinthe de ruelles, tortueuses comme les méandres d'un vieux fleuve. Dans cet enchevêtrement de pierres et de souvenirs, Sandra et Thomas avaient élu domicile. Leur demeure se dressait, austère, parmi les autres, ses murs érodés par les décennies, écorchés par la mémoire d'années révolues. La maison, semblable à un vieillard figé dans ses pensées, reflétait l'essence même de leur union : une structure solide en apparence, mais rongée de fissures secrètes et de recoins abandonnés aux ténèbres, où même l'éclat des jours les plus lumineux ne parvenait pas à percer.
Sandra, avec la délicatesse de ses gestes et l'éternelle ombre d'inquiétude dans le regard, semblait être la gardienne de ce sanctuaire chancelant. Elle veillait sur Thomas comme sur une relique précieuse, fragile. Elle courait inlassablement après l'équilibre de leur vie commune, tel un funambule cherchant sa voie sur un fil invisible suspendu au-dessus du vide. Elle incarnait cette force tranquille qui, dans la tempête, reste inébranlable, tandis que Thomas, tel un navire sans ancre, dérivait, prisonnier des courants capricieux de son esprit tourmenté.
Leurs étagères croulaient sous le poids des livres, et parmi eux, le Minnesota dénotait par sa reliure usée, ses pages jaunies par les affres du temps. Sandra pouvait y lire le récit de son existence entrelacée à celle de Thomas. Elle y découvrait les termes de cette codépendance : une envie démesurée de dompter le chaos qui habitait Thomas, une peur viscérale de l'abandon qui la dévorait, et cette conviction naïve et tenace qu'elle était l'unique salvatrice capable de l'arracher à ses démons.
Thomas, quant à lui, s'abandonnait avec une aisance déconcertante dans les bras de cette dépendance confortable. La présence constante de Sandra était pour lui telle une promesse tacite que, peu importe ses errements, une main serait là pour le ramener. Cependant, ce confort était aussi une prison de verre, le privant du courage nécessaire pour affronter seul ses fragilités et ses peurs.
Leurs jours s'écoulaient ainsi, entre un soutien mutuel et des silences lourds de non-dits, jusqu'au crépuscule où la fatigue se fit trop présente, trop pesante pour être ignorée. Sandra sentit la lassitude imprégner ses os, son âme se débattre sous le poids oppressant de cette relation asymétrique. Elle aspirait à se libérer des chaînes de cette codépendance, à retrouver le souffle de sa propre existence, à écouter le battement de son cœur libéré de la cacophonie ambiante.
Une nuit, alors que les ombres dansaient doucement dans l'intimité de leur salon, un silence épais enveloppant l'atmosphère, Sandra se leva. Ses pas, mesurés et résolus, la menèrent devant Thomas. Son regard, clair et déterminé, croisa le sien. D'une voix tremblante mais ferme, elle murmura : "La danse est finie, Thomas. Il est temps pour chacun de nous de retrouver sa propre musique."
Alors qu'elle s'éloignait, les pas de Sandra résonnaient sur le plancher comme une mélodie libératrice. Elle laissait derrière elle les pages froissées du Minnesota, porteuses de l'espoir que, peut-être, un jour, ils pourraient tous deux démêler les fils qui les unissaient et, enfin, apprendre à danser selon leur propre rythme, libres et épanouis.