Codépendance
Moi : Bonjour David, et merci d’avoir accepté cette rencontre. Comme discuté, j’ai préparé quelques questions pour avoir votre récit, du moins un résumé, de votre expérience face à la codépendance après être sorti de la consommation de produits. Alors allons-y. Présentez-vous s’il vous plait :
David : Bonjour Fabrice, aucun souci, allons-y. Alors je m’appelle David, j'ai 35 ans et je suis alcoolique, pharmacodépendant, mais en rétablissement depuis deux ans, et aujourd’hui codépendant. Depuis que je suis petit, j'ai toujours eu besoin de l'approbation des autres pour me sentir complet, en particulier dans mes relations amoureuses. Mais j’ai sombré dans l’alcool et les médicaments. Mais je m’en suis sorti grâce aux groupes de soutien. C’est ensuite que la codépendance a transformé ma vie, à nouveau, en un véritable calvaire quotidien, et donc aujourd'hui, je suis ravi de vous partager mon histoire.
Moi : Et je vous en suis reconnaissant. Parlez-moi de votre rencontre avec votre amie, et donc de la rencontre avec la codépendance si j’ai bien compris ce que vous m’avez dit.
David : Ok, donc tout a commencé quand j'ai rencontré Amandine. Elle était pétillante, pleine de vie, mais cachait une addiction à l'alcool, problème que je connais bien, mais j’avais croché sur elle, je l’aimais beaucoup. Croyant pouvoir la « sauver », je me suis embarqué dans une relation tumultueuse, où mes journées étaient rythmées par ses crises et ses besoins. Et je ne me suis absolument pas rendu compte que je me positionnais en « sauveur », ça me paraissait tellement normal comme situation, surtout que j’avais été pendant tellement d’année dépendant aux produits. C’était logique de vouloir l’aider. Mais je me suis fait prendre dans une spirale infernale.
Moi : Parlez-moi d’une de ces journées, cette spirale, votre routine quotidienne.
David : Chaque matin, je me réveillais avec une boule au ventre, me demandant comment serait l'humeur d'Amandine. Mon bonheur dépendait entièrement du sien. Si elle était heureuse, je l'étais aussi, mais si elle était triste ou en colère, mon monde s'écroulait. Psychologiquement, c’était une « routine » quotidienne infernale. J'ai mis de côté mes propres besoins, mes amis, ma famille, pour me consacrer entièrement à Amandine. Je passais mes journées à m'assurer qu'elle allait bien, à essayer de la maintenir sobre et heureuse. Je m'oubliais complètement, perdant peu à peu ma propre identité.
Moi : Vous m’aviez parler d’un aspect qui a retenu mon intérêt : la solitude. Pouvez-vous me parler de ce sentiment, cette sensation, que vous ressentiez ?
David : Bien sûr. C’était terrible ! J'étais constamment entouré de gens, mais je me sentais terriblement seul. Mes proches ne comprenaient pas mon besoin de rester avec Amandine malgré tout. Ils me disaient de partir, de penser à moi, mais je ne pouvais pas. Je croyais que mon amour pouvait la guérir, et que si je partais, tout serait de ma faute. Même entouré, j’étais seul au monde, je devais être seul pour être présent pour elle, et les autres ne pouvaient pas comprendre ce besoin, c’était plus fort que moi.
Moi : Vous pouvez me parler des conséquences sur vous au quotidien ?
David : Alors… Ma santé physique et mentale se détériorait. Je ne dormais plus, je ne mangeais plus, et je faisais des crises d'angoisse régulières. J'ai perdu mon emploi parce que je ne pouvais plus me concentrer sur rien d'autre qu'Amandine. Je me suis retrouvé dans une spirale de conséquences similaires à ce que j’avais déjà vécu lorsque que consommais alcool et médicaments. J’entends par là, surtout, que je n’avais plus la maîtrise de ma vie. J’avais perdu tout contrôle, alors que ne consommant plus, et en voulant aider, j’étais persuadé que je maîtrisais.
Moi : Puis vous avez eu une prise de conscience ?
David : Oui, un jour je me suis effondré. Je ne pouvais plus continuer ainsi. C'est à ce moment-là que j'ai réalisé que j'étais codépendant. J'ai commencé à chercher de l'aide, à lire sur la codépendance, et j'ai bien évidemment rejoint un groupe de soutien.
Moi : Que pouvez-vous me dire sur le rétablissement ?
David : La route vers le rétablissement n'est pas facile. Chaque jour est un combat pour reprendre le contrôle de ma vie, pour apprendre à m'aimer moi-même et à ne pas baser ma valeur sur les autres. C'est un apprentissage difficile, mais nécessaire. Et je travaille justement à reconstruire ma vie, à établir des limites saines et à me retrouver.
Moi : David, je vois que cet échange ne vous a pas laissé indifférent, vous êtes rempli d’émotions et ça devient difficile. Comme ce n’est pas une consultation, je vous propose d’en rester là, et surtout je vous remercie beaucoup d’avoir accepté de me voir pour partager votre histoire, je sais que ce n’est pas facile. Je vous souhaite un très bon rétablissement et je suis à votre disposition si vous le souhaitez.
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Dans l'intimité feutrée de notre conversation, où les confessions s'effilochent au fil d'un dialogue introspectif, l'histoire de David vient se poser délicatement sur la trame de notre réalité. À travers son récit, un tableau vivant se dépeint, celui d'une bataille silencieuse contre les liens invisibles de la codépendance.
Au terme de notre échange, l'atmosphère se charge d'un poids mélancolique, d'une espèce de gravité douce-amère. David, ce guerrier des temps modernes, m'a dévoilé son âme avec une sincérité qui transperce les armures les plus robustes. Ses mots, empreints de vulnérabilité et de courage, résument non seulement son combat mais aussi son chemin vers l'éveil personnel.
La solitude qui le hantait même en présence d'Amandine, l'écho d'un amour qui l'avait mené au bord de l'abîme, tout cela semble aujourd'hui faire partie d'une vie antérieure. Son effondrement n'était pas une défaite, mais le commencement d'une renaissance, un cri déchirant qui a fini par trouver écho dans les salles anonymes des groupes de soutien.
Le rétablissement, tel que David le décrit, est moins un chemin linéaire qu'une série de vagues, parfois douces, parfois tumultueuses, qui le ramènent vers les rivages de sa propre essence. Et si ses yeux se voilent parfois d'une brume émotionnelle en évoquant son parcours, c'est que chaque mot prononcé est une pierre retirée du mur qu'il a construit autour de son cœur.
En se levant, un frêle sourire effleure ses lèvres, non pas celui qui dissimule mais celui qui promet. Il sait que l'histoire partagée aujourd'hui est plus qu'un simple échange ; c'est une lueur dans la nuit, une main tendue vers ceux qui, comme lui, cherchent à émerger de l'obscurité de la codépendance.
La porte se ferme doucement derrière lui, laissant dans son sillage une promesse muette mais puissante – celle de la lutte, de l'acceptation et de la quête inlassable de la lumière. En cela, David n'est pas seulement un survivant ; il est le phare de sa propre tempête, apprenant, jour après jour, à danser sous la pluie sans craindre l'orage.

